lundi 22 décembre 2008

Les 9 vies du Tapageur (1)

Parce qu'une décision, un évènement suffit à tout basculer, je me risque aujourd'hui au jeu des si, pour le plaisir de la chose, pour songer à ce qui pourrait être, au destin, à la vie qui au fond n'est qu'un chevauchement de séries de dominos qui ne demandent qu'à être basculées.

J'ai eu 50 ans aujourd'hui, enfin je crois, c'est l'estimation la plus juste que j'ai. C'est qu'il y a longtemps que je n'ai pas su la date, longtemps que je n'ai pas succombé. La dernière fois, c'est un passant qui m'avait lancé un journal tandis que je jouais de l'harmonica sur la rue. Je l'avais feuilleté, insouciament. C'était un 5 décembre, on y prophétisait des malheurs, recensait des viols, rapportait des accidents. J'avais oublié que le but principal des journaux était de rappeler à tous combien cette vie que nous menons est bien triste. Autrement, les gens oublient. C'est que voyez vous, avec ses saveurs, sa chaleur, ses couleurs, on pourrait commettre l'insolence de croire qu'elle est belle cette vie. Quel malheur que de croire au bonheur.

On m'appelle parfois vagabond. D'autres fois clochard. Souvent va-nu-pieds. On pousse même l'audace à m'appeler mendiant, moi qui demande pourtant si peu, qui offre à bras ouverts. Pour deux dollars, j'accorde la déculpabilisation, la bonne conscience, l'estime, je distribue l'absolution des remords sans discrimination. On a bien plus besoin de moi que moi d'autrui. Alors mendiant vous savez...

On me trouve laid comme une irrégularité. J'ignore si c'est ma barbe hirsute, mon air hagard et mes vêtements rapiécés ou ma simple existence, ce qu'elle représente sur la société de laquelle je suis né, l'implacable rappel que le rejeton est familier du géniteur. On me suppose misérable et pourtant, je suis sans doute bien plus heureux que ces centaines de gens pressés que je vois chaque matin marcher le nez fourré dans leur manteau, le regard tourné vers le sol.

Je suis solitaire, j'ai depuis longtemps décidé de me soustraire des aléas de l'humain. Tout a débuté lorsqu'à 20 ans, effrayé par mon enlisement constant dans le futile, je suis parti, un matin, sans dire mot. J'avais décidé que les promesses que la vie avait à offrir étaient bien plus riches que celles que percevait mon entourage en moi. Vêtu d'un simple jeans, de mes espadrilles et d'une légère veste, j'ai marché et marché. Marché pendant 5 ans à en oublier d'où je venais, m'arrêtant pour offrir la chance d'être hospitalier ou d'être généreux d'une bonne paire de botte.

Puis après 5 ans, alors que je commençais à peine à découvrir l'étendue de la complexité de la vie, l'ampleur de ma petitesse, il me prit envie de me reclure, puisqu'il me semblait que les plus tangibles et importants secrets à pénétrer, c'est chacun personnellement qui les possédait.

C'est donc dans une précaire habitation, entouré d'une dense forêt boréale que je vécus les vingts années suivantes de ma vie, 20 ans à oublier l'hommerie et son vide, à oublier le temps et ses affres. 20 ans à scruter l'immensité céleste la nuit venue et tenter d'y voir le quelconque reflet de notre terne monde. Normal que tout ici semble si mât quand les cieux scintille tant.

Ce n'est qu'après une dizaine d'année que l'honnêteté totale commence réellement à s'immiscer. Qu'après 10 ans que nos plus sombres défauts, nos torts les plus difformes deviennent légitimes et partie prenante de cette identité que certains tenteront toujours en vain de se forger toute leur vie durant. Puis au bout d'une autre dizaine d'année, on en vient à chérir ses défauts, parce qu'ils magnificient l'unicité de chacun, alimentent l'énergivore complexité du vaste monde qu'il apparaît désormais clair prendra plus d'une vie à cerner.

Parce que j'exècre le confort, que ma fuite de ce dernier avait été le moteur de ce périple, je me devais de retourner après 20 ans à cette civilisation que j'avais fuis dans la plus pure des catiminis. Redoutant l'esclavagisme, je fis le voeux de me terrer dans les méandres les plus salaces des agglomérations les plus grouillantes, par souci de liberté certes, mais surtout par curiosité pour l'aberrance universelle que représente la misère.

C'est ici que j'en suis. Voilà maintenant 5 ans que j'erre parmi les pouilleux et les errants. Même si plusieurs d'entre eux semblent chercher un sens à leur existence, il me semble qu'elle a déjà bien plus d'essence que celles des morts-vivants qui s'agglutinent un peu plus chaque jour autour d'artifices éphémères pour combattre la noirceur qui englobe leurs vies, puisque les astres sont toujours un peu plus cachées par les excréments d'usines qui rejettent continuellement plus pour combattre toujours un peu plus la sereine inertie naturelle de la vie.

Et tandis qu'on prédit la déroute, que la tristesse est ambiante, je souris. Parce que j'ai vu, parce que je sais. Alors que je chevauche ma vieille bécane rouillée, que mon ébouriffée chevelure flotte au vent, que l'on m'accole les titres de fou, d'étourdi ou de follingue, je m'esclaffe, les yeux plus clairs que jamais.

Edit: Je l'ai échappé quelque part au milieu. Ma parole Carole.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Wow.
J'ai pas le temps d'élaborer, mais... j'aime beaucoup. Vraiment.

Anonyme a dit…

Pour un étudiant en actuariat... pas facile à vivre tout ça, n'est-ce-pas ?

Le Tapageur Silencieux a dit…

@Camille: Merci bien Alain.

@garamond: Ça fait du stock en effet.

DjOu a dit…

J'adore,
tu as un point de vue merveilleux de cette "population"...
Si l'un d'entre eux pourrait lire ce 'post' je peux te jurer qu'il en resterait étonné;
Enfin quelqu'un qui les comprend!

Voyance mail a dit…

Je suis de retour sur ton site, toujours aussi envoûtant. Une nouvelle découverte pour moi cette fois, ton blog ! Un moment de bonheur et d'émerveillement. Merci
voyance par mail gratuite

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Je suis vraiment fier de vous découvrir, votre blog est vraiment super ! J’aime bien son interface, et j’ai trop adoré le contenu aussi. Surtout continuez ainsi !

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